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Ecole en péril: la Guyane passe en zone d’éducation prioritaire
renforcée

27 mai 2016 | Par Faïza
Zerouala
– Mediapart.fr

Après des
semaines de mobilisation, d’annonces et de contre-annonces, de
changement de recteur, la ministre de l’éducation vient d’annoncer le
passage en REP+, l’éducation prioritaire renforcée, de l’ensemble de
l’académie de la Guyane. Cette décision tente d’apporter des
réponses à la situation catastrophique de l’éducation.

La bataille des
mots a été virulente. Les uns parlaient de « malentendu »,
les autres de « mensonge d’État ». Depuis presque une
semaine, la communauté éducative ainsi que des parents et les syndicats
étaient mobilisés pour obtenir le classement de l’académie entière de
Guyane en zone d’éducation prioritaire renforcée, en REP+, selon la
terminologie officielle en vigueur. Le mardi 24 mai, 600
personnes ont manifesté devant le rectorat, 80 % des enseignants
étaient en grève selon le porte-parole de l’intersyndicale locale.

La protestation a
payé, la ministre de l’éducation nationale a expliqué le mardi
24 mai à l’assemblée nationale (visible
ici à partir de 44 minutes
), après une question de
Gabriel Derville, député de Guyane au nom des autres parlementaires du
département, que toute l’académie passerait dès la rentrée prochaine en
éducation prioritaire renforcée, à l’exception d’un collège. À l’heure
actuelle, il existe en Guyane 30 collèges publics, un seul hors
éducation prioritaire, et 151 écoles. Najat Vallaud-Belkacem a promis
de signer un arrêté très prochainement pour entériner cette annonce, « une
mesure de justice »
, a-t-elle déclaré.

Cette évolution
de statut a été arrachée dans des conditions rocambolesques. D’abord,
les enseignants et parents se sont basés sur une annonce faite par
l’ancien recteur de Guyane, Philippe Lacombe. Lors d’une conférence de
presse, le 20 janvier 2015,
dont France Guyane fait un
compte-rendu précis ici
, il avait évoqué la
nouvelle carte de l’éducation prioritaire renforcée. Tous les collèges
de l’académie, sauf celui de Auguste-Dédé de Rémire-Montjoly, devaient
bénéficier de cet accompagnement.

Puis la
confirmation en a été faite par écrit lors des comités techniques
académiques du premier et second degré en février et mars 2016.
Jusque-là, rien d’anormal. Des projets pour porter ce renforcement ont
été pensés au sein des établissements, désormais ramassés en réseaux,
constitués d’un collège et de plusieurs écoles. L’idée étant de
permettre des échanges entre les différents niveaux afin de mieux
cerner les difficultés en amont et organiser un travail de suivi. La
rentrée avait été préparée sur ces bases.

Seulement, la
valse des recteurs est venue compliquer l’affaire. Le 2 mars, en
conseil des ministres, un mouvement est annoncé. Philippe Lacombe,
recteur de l’académie de la Guyane, est nommé recteur de l’académie de
Corse et Youssoufi Touré, professeur des universités à Orléans, le
remplace à son poste.

Ce dernier a
voulu se présenter et rencontrer les acteurs syndicaux locaux. Au
détour de la conversation, au cours de laquelle tous les sujets sont
brassés, ainsi que le rapportent plusieurs participants à cette
rencontre, le successeur de Philippe Lacombe leur explique que, non le
département ne va pas intégralement basculer en éducation prioritaire
renforcée et que la carte ne va pas bouger jusqu’à 2019. Sur le moment,
la délégation demeure coite et ne réagit pas à cette nouvelle, qui
compromet ses plans. Le recteur explique aux syndicats qu’ils n’ont pas
compris la teneur des décisions.

Tous sont
persuadés ne pas avoir mal interprété les propos de Philippe Lacombe.
Youssoufi Touré leur confirme que l’arrêté ministériel prévoit de
maintenir la situation actuelle, soit dix établissements en REP et
dix-neuf en REP+. Alors que lui-même a signé fin mars une circulaire
qui définit le cadre du mouvement de mutation intra-académique 2016
mentionnant la liste des 30 collèges REP+ (et un REP). Le document est
affiché dans tous les établissements de l’académie.

Interrogé
par la presse locale
, Youssoufi Touré récuse le terme
de « revirement » puisqu’il n’y aurait jamais eu
d’annonce ferme. Il émet l’hypothèse d’une « confusion »
ou d’une « erreur de communication » mais réfute
toute rétractation. Au ministère de l’éducation nationale, on maintient
l’idée d’une « information mal comprise » et on met
l’accent sur les efforts particuliers mis en œuvre dans le département,
où 60 % des collèges sont en éducation prioritaire renforcée là où
ce taux est de 7 % en métropole. D’autant, y assure-t-on, que les
moyens injectés pour soutenir cette académie fragile demeurent les
mêmes, éducation prioritaire renforcée ou pas. Faux, rétorquent les
syndicats. L’arbitrage final revenait à la ministre qui a choisi de
corriger cette bévue en accédant aux desiderata des
acteurs éducatifs.

Au-delà
des seuls chiffres
, la réalité quotidienne justifie
largement le placement du département en éducation prioritaire
renforcée. Tout tient dans ce dernier terme. D’aucun argueront que la
différence entre REP et REP+ est minime, ou qu’il s’agit d’un caprice
de la communauté éducative. Rue de Grenelle, on sous-entend, aussi, que
la polémique et la mobilisation qui s’en est suivie ont pu être mues
par des considérations moins nobles qu’il n’y paraît, à savoir l’indemnité
plus importante perçue par les enseignants de REP+
,
revalorisée (1 734 euros pour les REP et 2 312 euros
annuels pour les REP+ ).

Alexandre
Dechavanne, porte-parole de l’intersyndicale, dément avec
fermeté : « Ce n’est pas une question indemnitaire mais
humaine. Ici, nous faisons face à une grande détresse sociale. En
basculant en REP+, on va pouvoir avoir une décharge horaire
(1 h 30 hebdomadaire) et avoir plus d’assistants sociaux. Ils
sont débordés alors que nos élèves sont dans des situations délicates,
il y a des viols, de la maltraitance, des grossesses précoces, de la
drogue, de la délinquance »
, explique-t-il.

« En Guyane, la fusée décolle mais pas
l’école »

Les récits des
acteurs éducatifs locaux font état, en effet, d’un département en
grande souffrance et d’un paysage scolaire sombre. Comme
souvent en éducation prioritaire, le terme d’urgence n’est pas
galvaudé.
Les imbrications entre difficultés sociales et
scolaires se révèlent. « Un défi » permanent,
estiment ceux qui chaque jour doivent composer avec ces données. Le
manque de maîtrise du français demeure le principal handicap des
élèves, rendant l’assimilation des fondamentaux plus compliquée.

Même si, en
parallèle, tous vantent les atouts de ce département multiculturel, où
se chevauchent
Noirs marrons, Créoles guyanais,
Français métropolitains,
Surinamais, Brésiliens, Haïtiens et
Chinois. Fabienne Rochat, co-secrétaire departementale
du SNUIPP-FSU, rappelle que 80 % des élèves parlent une autre
langue que le français : « Pour eux, ce n’est souvent
que la langue de la scolarisation. Certains parents se désengagent
aussi car ils ont eu une expérience négative de l’école. »

Pour
comprendre ce qui se noue ici, il faut remonter le fil. En avril 2014,
à Cayenne, un
professeur échappe à une balle perdue
, alors qu’il se
trouve en salle informatique. Le collège Paul-Kapel est niché au
cœur de la cité. Les enseignants exercent leur droit de retrait et
en profitent pour porter leurs autres revendications sur l’éducation et
appeler de leurs vœux le passage en éducation prioritaire renforcée.
Avoir des effectifs réduits, maximum 25 élèves, mais aussi une décharge
horaire permet de créer des projets, d’être plus efficace. La décharge
de service peut aussi servir à rencontrer avec les familles les
travailleurs sociaux ou autorise un encadrement renforcé. Les
enseignants espèrent souffler, tant leur travail se confond parfois
avec celui d’assistants sociaux. Le taux de chômage ici tutoie les
sommets, le double qu’en métropole (21,9 % contre
10,4 %).

Et bien
sûr, cela a un impact sur la réussite scolaire. Les déficits sont
humains mais aussi matériels. Il y a peu de bibliothèques, pas assez
d’installations sportives.
L’école numérique demeure
un mirage, certaines écoles dans les territoires les plus reculés n’ont
même pas un accès régulier à l’électricité ou même à l’eau potable.
Certains élèves qui y habitent dépendent des transports en commun pour
se rendre à l’école. Ils doivent se lever très tôt pour effectuer le
trajet d’une heure, une heure et demie en bus. Quant à ceux qui le
ratent et n’ont pas la possibilité d’être accompagnés en voiture par un
tiers, ils ne se rendent pas en cours. Sarah Ebion
,
co-secrétaire académique du SNES Guyane,
précise que
souvent ces enfants passent la journée le ventre vide, car des cantines
manquent. Un système de collation a été mis en place mais pas
assez
généralisé, seuls douze établissements en
proposent.

Deux
parlementaires guyanais, Antoine Karam et Gabriel Serville, ont exposé
ces
difficultés dans un texte publié en octobre 2014
.
Louisa Chalal, parent d’élève qui a soutenu la mobilisation et qui
assiste aux conseils de discipline au collège où son fils est
scolarisé, raconte que certains élèves ne savent pas lire correctement
en 4e et qu’ils perturbent la classe, faute de s’y sentir
bien. Cette aide-soignante de 48 ans s’inquiète :
« Quel
avenir offre-t-on à ces enfants ? La Guyane a besoin de
respirer »
, conclut-elle.

Dans les propos
des uns et des autres, un terme surgit spontanément, « le
mépris »
. Pour eux, si la situation est si dégradée c’est
parce que l’institution porte peu de considérations à l’outre-mer,
que ce soit la Guyane ou Mayotte. « Il y a un gros retard
à combler par rapport à la métropole mais comme ce sont des Noirs et
des Amérindiens, tout le monde s’en fiche »
, rapporte l’un des
acteurs éducatifs qui souhaite rester anonyme. Il a épluché les
différentes statistiques, éloquentes tant elles traduisent le dénuement
du territoire.

L’éducation
prioritaire, d’impulsion mitterrandienne, est née au début du
septennat, portée par Alain Savary en 1982. Le ministre entendait, en
créant les ZEP, marquer une rupture forte en remettant en question le
mythe de l’équité républicaine. Finie la répartition égalitaire des
ressources, il faut désormais donner davantage à ceux qui ont moins,
comme en Guyane.

Pour déterminer
les réseaux bénéficiaires, la
réforme de l’éducation prioritaire annoncée fin 2014

a été conçue de façon qu’il soit tenu compte dans ses calculs de quatre
critères principaux : le pourcentage d’élèves issus des catégories
sociales défavorisées, celui des élèves issus de zones urbaines
sensibles, le pourcentage de ceux en retard à l’entrée en 6e
et le taux de boursiers.

Les acteurs
éducatifs qui se sont mobilisés le reconnaissent, même ces mesures sont
toujours insuffisantes pour résorber les inégalités. « Ce
classement n’est pas la panacée mais ça permet d’avancer et
symboliquement on est pris en compte »
, reconnaît Alexandre
Dechavanne. Tous rappellent que le département abrite la base de
lancement de la fusée Ariane à Kourou, symbole de la haute technologie
française mais estiment que la Guyane ne peut se résumer à cela. Il y a
quelques années, le FSU en avait même fait un slogan : « En
Guyane, la fusée décolle mais pas l’école. »

Sans compter que
le territoire n’attire pas les foules. Il est difficile de stabiliser
les équipes, alors même qu’il s’agit de l’une des conditions
essentielles pour réussir à mener des projets et souder les
professeurs. Près de 300 contractuels, souvent peu expérimentés,
pallient le manque de personnel. Fabienne Rochat résume l’équation
ainsi : « On est loin et c’est difficile. La démographie
pousse. Il y a beaucoup de demandes des enseignants pour sortir de
Guyane lors des mouvements de personnels. Au moins la prime adossée au
REP+ peut permettre de corriger cela. »

De son côté,
Sarah Ebion pointe le déficit en terme d’accompagnement des personnels
nouvellement arrivés. Ceux-ci sont souvent désarçonnés par ce qu’ils
découvrent. Les locaux sont délabrés et les élèves en grandes
difficultés, de tout ordre. « Dans le premier degré, le
concours est très ouvert, du coup nous avons des stagiaires qui ne sont
pas toujours bien accompagnés. »
D’autant que, souligne la
responsable syndicale, l’école, avec la gendarmerie, sont les seuls
services publics qui demeurent. Il faut être solide. Certains craquent.
Alors même que les familles placent beaucoup d’espoir dans l’école
perçue comme un levier d’ascension sociale.

« Nous sommes à l’écoute de tous les maux de la société. De
fait, les collègues s’engagent beaucoup sur leur temps libre, financent
parfois eux-mêmes leur matériel.
Ici, l’école a un
réel rôle à jouer, encore plus que dans les banlieues de
métropole »
, estime Alexandre Dechavanne. « Encore
faut-il qu’on en ait les moyens… »
, ajoute-t-il. Le ministère
semble, pour une fois, avoir entendu ces demandes.